Journal d’un prince banni
(By Moulay Hicham El Alaoui) Read EbookSize | 25 MB (25,084 KB) |
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Author | Moulay Hicham El Alaoui |
Tout livre est un contrat de confiance, et le livre d'un prince marocain encore plus qu'un autre. En effet, jamais dans la longue histoire dynastique du royaume, un membre de la famille régnante n'a pris la plume pour partager ses idées avec l'«extérieur», au-delà des murs du Palais et, encore moins, par-delà les frontières du pays. À cela, il y a de bonnes raisons, qui ne relèvent pas seulement d'un royal dédain pour le monde en dehors du méchouar, le «Conseil», c'est-à-dire l'enceinte du pouvoir monarchique. Écrire un livre, c'est se livrer. La décision a mûri en moi pendant des années. Maintenant que je m'y suis résolu, je ne vais pas m'arrêter à mi-chemin. Dans les pages qui suivent, je ne mâche pas mes mots. Rien de ce que je pense n'est dissimulé derrière des arabesques.
Pour autant, on cherchera en vain de «petites phrases», du fiel distillé, des attaques ad hominem ou des secrets inavouables. J'ai trop subi de pareilles bassesses pour m'y livrer à mon tour. En revanche, un système opaque est décrit de l'intérieur avec le franc-parler qu'abhorre la société de cour au Maroc pour qui la souplesse invertébrée et le verbe tarabiscoté tiennent lieu de raffinement et de subtilité. Pour ma part, je préfère être direct : je ne suis pas davantage le «prince rouge» que Mohammed VI n'est le «roi des pauvres» - en ce qui le concerne, quinze ans de règne devraient suffire pour en convaincre même le plus jobard parmi nous. Quant au «prince rouge», il n'existe que dans les miroirs déformants des médias. Je n'ai jamais été communiste ou socialiste. Je ne suis même pas antimonarchiste par principe, un «mauvais prince» en quelque sorte. Cependant, je serais prêt à tirer un trait sur la monarchie chérifienne si j'arrivais à la conclusion qu'elle n'est plus d'aucune utilité pour les Marocains, qu'elle interdit toute évolution vers la démocratie, la prospérité et l'État de droit. Trancher cette question, c'est précisément l'objet de ce livre. D'ores et déjà, je suis persuadé qu'il faut démanteler le makhzen, c'est-à-dire notre pouvoir pseudo-traditionnel qui cumule les tares du «despotisme oriental» et de la tyrannie bureaucratique héritée de l'administration coloniale.
Je ne suis ni un républicain à tout crin ni - je revendique le double sens - un monarchiste dans l'absolu. Je pourrais très bien vivre dans une république marocaine, si ce régime me paraissait la meilleure option pour mon pays. Et quand bien même la république ne serait pas la meilleure voie, l'adhésion à la monarchie devra de toute façon être refondée sur de nouvelles bases, plus saines. Mon point de départ est donc la question suivante : que peut encore apporter au Maroc la monarchie comme forme de gouvernance ? Que peut-elle sauvegarder, ou mieux faire éclore, qu'un autre régime ? Je conçois sans drame que, dans un contexte historique donné, la réponse puisse être défavorable à la monarchie. Mais je ne m'interdis pas non plus de penser qu'après le Printemps arabe, la monarchie puisse encore être utile au Maroc, c'est-à-dire «historiquement productive» pour faire advenir la démocratie au moindre coût humain, sans violences. C'est sur ce choix de fond que je veux m'expliquer dans ce livre.
De quelle façon ? En livrant ma vérité, toute ma vérité d'homme et de prince, une fois pour toutes. C'est à prendre ou à laisser, en partie ou en bloc. Cette décision appartient au lecteur, et à lui seul, dès lors que je remplis ma part de notre contrat de confiance. D'emblée, je vais donc être explicite. Je ne demande à personne de s'engager pour moi mais seulement pour que le Maroc - patrie ou pays ami - change. Je ne suis candidat à rien et ne souhaite prendre la place de personne. En même temps, je ne m'interdis aucune ambition au service de mon pays. Si le Maroc veut devenir un «royaume pour tous», je serai avec lui.”